Pourquoi est-il devenu faf ? Il y a deux facteurs principaux. Le premier est une certaine lassitude, un certain ras-le-bol vis-à-vis de la société dans laquelle il vit. Quelquefois, c’est simplement une crise d’adolescence ; ça peut être aussi l’exercice d’un minimum de bon sens, qui lui permet de prendre conscience que les racailles qui l’emmerdent dans son lycée n’ont rien de bon à lui apporter, qu’elles pourrissent la vie à tout le monde et qu’elles ne sont pas les victimes que l’on prétend dans les médias. Pour lutter contre elles, et surtout trouver des gens qui le soutiendront plutôt que de l’enfoncer, il part à la découverte du bord politique le plus diabolisé depuis trente ans : l’extrême droite. Le second facteur est une fascination plus ou moins avouée pour l’immoral, l’incorrect, ou du moins ce qui est considéré comme tel par toute personne dite normale. Pour certains, ce sera la religion catholique, mise au pilori depuis deux siècles, pour d’autres ce sera l’identité, la croix celtique ou encore les écussons SS.
Si le milieu faf n’était pas autant pointé du doigt, peut-être n’aurait-il pas l’air si attirant pour tous les paumés qui traînent, ou pour les boucs émissaires éprouvant une sympathie instinctive envers tout ce qui est rejeté. Bien souvent, le militant faf cumule ces deux passifs. Les extrêmes ont toujours attiré les paumés. A l’image du rap ou du milieu des sports de combat, on trouve dans le milieu faf un nombre incalculable de poseurs et de cas sociaux, qui prétendent vouloir changer le monde mais se complaisent dans un agréable rôle d’antagonistes.
La vague skin est finie depuis quelques temps. Déjà dans les 80’s, à sa période de gloire en France, elle n’était qu’une série d’histoires débiles entre bandes. Les skinheads n’ont jamais été autre chose que des alcooliques, aussi bêtes que violents, et ils se battaient entre eux – parfois entre skins du même bord – pour des histoires d’alcool ou de filles. Aujourd’hui, vous pensez. Qu’à cela ne tienne : même chevelu, le militant faf est fasciné par les skins, pour la simple raison qu’ils ont fait tout ce que lui n’ose pas faire. Etant un mytho dans l’âme (le militant faf cumule les travers…), il va tenter de reprendre le look de ses idoles. Pour ses sorties, qu’il prétendra être des ratonnades ou des rassemblements hyper-importants mais qui se terminent toujours de la même façon, c’est-à-dire dans un bar, le militant faf va enfiler sa panoplie de skinhead achetée sur Ebay et partir en vadrouille avec ses copains.
Inutile de préciser que, la semaine, le faf ne se looke pas. Les sambas, le harrington, le polo Fred Perry ou le bomber Lonsdale restent bien au chaud dans la penderie cinq jours sur sept. Se looker au lycée, avec toutes les racailles qui y traînent, c’est dangereux. Le faf a beau être un street warrior, un soldat urbain toujours prêt à combattre pied à pied pour défendre ses idéaux, il préfère éviter les problèmes au lycée. Être un « guerrier à 100% de sa puissance », comme disait un mec du forum natio, c’est bien, mais pas tous les jours. S’il travaille (dans un boulot de merde, forcément, vu qu’il a raté ses études), il ne peut ou n’ose pas porter sur lui le moindre indice qui trahirait sa couleur politique. Seulement le week-end, on vous dit. A moins qu’il n’y ait un meeting ou un rasso un soir de semaine, ce qui arrive si peu souvent que le faf va s’y précipiter illico presto. Dans ce cas, il va mettre avec fierté sa panoplie de skin pour parader avec ses camarades dans les rangs du rasso. Le reste du temps, notre faf passe la semaine à attendre le week-end, ce qui veut dire qu’il passe cinq jours sur sept comme un poisson mort, à faire un boulot qu’il n’aime pas en songeant avec envie à ses beuveries (qui sont, de toute façon, aussi médiocres que son boulot). Il appelle ça « faire partie de la working class ». Le vendredi soir, après une semaine de fatigue et d’ennui mortel, le faf met son harrington/bomber et file voir ses camarades ! S’il habite en région parisienne, il va s’agglutiner avec eux chez Batskin, c’est-à-dire dans une salle de 10 m² pompeusement appelée « Local » ou dans un autre bar miteux du 15ème. Là, il va dépenser son argent durement gagné en pintes hors de prix, qu’il éclusera comme une machine. Toute sa soirée ne sera que brouhaha, fumette sur le trottoir de la rue de Javel, échange des derniers ragots du milieu faf – ce qui lui permet d’éprouver la joie toute palpable d’en faire enfin partie –, écouter un peu de RAC (ou de RIF, selon qu’il a deux ou trois neurones qui s’agitent dans son petit bocal) et finir la soirée à 3h du mat’ en vomissant dans le caniveau.
Après quoi, une fois rentré chez lui, il allume son ordinateur et fait le tour de ses forums préférés (Stormfront, Forum Natio et autres Paroles de France) pour y parler des nouveaux potins qu’il a appris, en les couvrant toutefois d’un voile de mystère, dans le but de montrer aux internet warriors du forum que lui, c’est un vrai, qu’il fait vraiment partie du milieu, pas comme tous ces nolifes frustrés qui n’ont jamais vu un faf de leur vie et qui passent leur temps sur des forums bidons. Notre fafounet passe deux heures à puer de la gueule (ben oui, il a vomi) devant son écran, en pleine nuit, prolongeant sa soirée pourrie dans l’obscure intimité de sa chambre. En faisant gaffe, dans la plupart des cas, de ne pas réveiller Maman qui dort à côté. Regardez le nombre de messages postés sur les forums fafs entre 3 et 6 heures du matin le week-end, c’est édifiant… On n’ose pas imaginer l’état de délabrement physique et mental des types qui postent à cette heure-ci. Une fois le tour des forums accompli, le militant faf va se coucher (sans se laver) puis dort toute la journée. Ainsi, il flingue son week-end – vu qu’il passe ses journées à dormir, et ses nuits en beuverie ou en branlette – et se plaint de ce que faire partie de la working class lui laisse si peu de temps libre. S’il ne le gâchait pas à ce point, il en aurait peut-être un peu plus, de temps libre. Mais ne lui dites pas, il pourrait s’énerver sur Internet… Pas étonnant qu’ils ratent tous leurs études…
Tout cela n’empêche pas le faf de croire, le plus sérieusement du monde, qu’il rend service à la France (ou à l’Europe, c’est selon) de par son engagement dans le milieu. Après tout, même s’il n’a jamais adhéré à aucun mouvement, vu qu’il n’a pas envie de se casser le cul à coller les soirs de semaine – il préfère regarder la Star’ac ou Anal Plus – il fait quand même partie du milieu. Il connaît d’autres types comme lui et vomit la même bière qu’eux, alors c’est un militant, forcément. Parlons-en, tiens, du militantisme. Dans la plupart des cas, le militantisme du faf de base se limite à coller trois autocs devant son lycée une fois par mois, en maudissant les gauchistes qui viennent les arracher dès le lendemain. Cela consiste aussi à venir à un rasso/meeting de tel ou tel groupuscule, non pas pour écouter les orateurs, mais simplement pour montrer aux gens du milieu qu’il y était et donc qu’il s’engage à fond. Par la suite, il fera des concours de longueur de bite avec d’autres fafs, ce qui donnera des échanges du style « ouais, moi j’y étais, à celui d’avant même j’y étais aussi, et toi tu fais quoi ? ». De sorties nocturnes (se limitant, pour un fafounet parisien, aux rues proches du bar à Batskin et à quelques soirées gabber) en meeting-branlettes, le militant faf se constitue une petite collection d’évènements. Il s’en servira pour se la péter dans les soirées bière, et montrer à ses camarades combien il est vraiment faf. Les camarades en question étant, bien sûr, des boulets comme lui croisés au hasard des comptoirs et des rassos. Le militant faf se raccroche à eux pour ne pas se retrouver seul, et chacun se raccroche les uns aux autres.
C’est là tout ce qui intéresse le faf. Paraître. Comme les gothiques ou les racailles, les fafs passent leur temps à se constituer une image de marque, pour oublier qu’ils se font chier toute la semaine et que leur vie n’a aucun sens. Petit à petit, l’image que le faf veut donner de lui-même lui colle à la peau, à tel point qu’il ne quittera plus le milieu faf même s’il finit par le voir pour ce qu’il est (à savoir un ramassis de branleurs). A quoi bon avoir une image de marque s’il n’y a personne pour la voir ? Un vendeur de produits avariés (par exemple, un tenancier du 13ème arrondissement) est obligé d’avoir une devanture propre pour attirer l’attention dans le bon sens et garder une apparence irréprochable. Le milieu faf est pareil. A écouter leur musique, on s’imagine une confrérie mystique, où le nouveau venu découvre un savoir sacré et où toute trahison est punie de mort. En réalité, le faf est avant tout un ado attardé, qui a désespérément besoin de faire croire aux autres qu’il vaut quelque chose. Le principal objectif étant de s’en persuader soi-même. S’il n’avait pas de camarades avec qui jouer au guerrier, le faf se retrouverait face à son propre vide existentiel. Et les camarades sont dans le même cas que lui…
Avec 90% de boulets en son sein, comment voulez-vous que le milieu faf change quoi que ce soit à la société ? Il est déjà chanceux d’avoir réussi à effrayer ses pseudo-ennemis, à savoir les gauchistes, malgré le fait que ceux-ci soient plus nombreux. Et encore : ce sont les JNR, soit une vingtaine de personnes, qui ont tout fait, malgré le fait qu’une bonne centaine de mythomanes s’approprient les anecdotes ultra-bandantes avec lesquels Batskin a constitué son propre mythe. L’élite parmi la pseudo-élite, donc. C’est déjà pas mal, ne leur en demandons pas trop.