lundi 23 mars 2009

Portrait : le syndicaliste étudiant

Tous les ans, en automne ou au printemps, c'est la même chose : les étudiants descendent dans la rue et manifestent contre, au choix, la réforme du ministère de la recherche, la réforme du ministère de l'enseignement supérieur et la réforme du gouvernement sur les facs. Les facs sont bloquées, les AG (Assemblées Générales) décrétées et c'est le bordel pendant un certain temps. Pourtant, bien que tous les étudiants ou presque soient concernés, seule une minorité d'entre eux provoque le bordel dans les facs. Il y a bien sûr les antifas plus ou moins "autonomes", c'est-à-dire trop flemmards ou trop peureux d'être fichés pour prendre leur carte dans un mouvement, toujours présents si on peut bordéliser quelque chose, mais aussi les syndicalistes étudiants les plus officiels.
Derrière l'acronyme de leur syndicat, ils guettent silencieusement la moindre nouveauté émanant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Dès qu'une nouveauté sort, on les voit ressortir leurs tracts, avec les mêmes discours et les mêmes dessins qu'il y a 30 ans : "ils veulent tuer la recherche", "sarko, plus de sous", "moins d'heures de cours", "pour le droit aux fraudes dans les exams", etc. Mais qui sont ces gens si organisés et si légaux ?

A une certaine époque, une époque très lointaine, les facs étaient des centres de formation et de recherche. On y apprenait tout sur tout dans un domaine précis, et si on était bon, on devenait chercheur ou prof. Naturellement, il fallait travailler un peu, mais rien ne se fait tout seul. Puis, mai 68 est passé par là, les fils à papa révolutionnaires ont giclé dessus comme des sauterelles et ça a tout changé. Depuis, les facs sont devenues ce qu'elles sont aujourd'hui. Pendant les deux premières années d'étude, une fac est avant tout une espèce de poubelle où on largue tous les abrutis infoutus de réussir les concours des grandes écoles. Ils passent donc un peu de temps en fac, redoublent une ou deux fois, avant de se faire jarter en direction d'un BTS qui les insérera dans la société proportionnellement à leurs capacités intellectuelles, c'est-à-dire en tant que techniciens minables. En troisième année, les trois quarts des étudiants viennent directement de prépa pour remplacer les nazes qui se sont fait jarter les deux premières années.
Dans ce terreau fangeux qu'est la fac, on trouve beaucoup de glandeurs qui n'ont pas le niveau, y compris en troisième année. Ces glandeurs vont en cours quelquefois, mais ils se font chier. Aller en cours, c'est de l'écoute, réviser ces exams c'est du travail, et ça les emmerde profondément. Ils aiment les discours simples, les idées pré-pensées les plus faciles à comprendre. Ceci expliquant cela, ils sont de gauche. En effet, le glandu de base n'a aucun esprit critique, ou alors il est trop flemmard pour s'en servir. Lecteur assidu des journaux gratuits depuis ses années de lycée, il voit le monde en blanc et noir : d'un côté, la gauche gentille, avec Besancenot, le PS, les pôvres victimes de la société issues-de-la-diversité et d'une manière générale tous les hypocrites s'apitoyant sur leur sort pour gagner de la thune, et de l'autre côté, la vilaine droite, avec le vilain Sarko et les méchants patrons. Ce découpage manichéen pousse le glandu de base à s'intéresser aux syndicats étudiants. Avec un syndicat, il pourra donner une légitimité à son discours de gros rebelle de la société, et qui sait, il aura peut-être l'occasion de foutre le boxon en toute légitimité puisque les syndicats sont tout à fait officiels.
Il y a deux types de syndicalistes étudiants. Les premiers sont des petits bourgeois venus du XVIème arrondissement, du quartier bobo de République-grands-boulevards, de Châtelet, de Neuilly... pour ne citer que les parisiens, donc de ghettos riches ultra-privilégiés. Ces gens-là ont des parents soixante-huitards. Depuis qu'ils sont tous petits, leurs parents leur racontent avec enthousiasme combien 68 c'était bien, rebelle, révolutionnaire, comment on allait faire la paix dans le monde et imposer l'écologie anarcho-trotskiste en se roulant au milieu des plans de cannabis dans le Larzac... Evidemment, une fois devenus grands, ces soixante-huitards sont devenus directeurs financiers ou hommes politiques. Aujourd'hui, ils gagnent des fortunes et sont les premiers à profiter du système qu'ils ont soi-disant mis en danger en 68, mais ils en gardent un souvenir complètement exalté. Leurs enfants ont grandi dans cette mythologie, et bien qu'ils vivent dans un cinq pièces situé au coeur du seizième, ils sont convaincus qu'une révolution populaire est indispensable. Tant qu'ils gardent leurs biens, c'est l'essentiel. De toute façon, eux sont du bon côté, alors même s'ils sont riches, ils peuvent faire la révolution !
Ces petits bourgeois entrent dans des syndicats pour plusieurs raisons. D'abord pour copier leurs parents, refaire 68 en tout petit et se forger des souvenirs pour la suite, histoire de se dire eux aussi, quand ils seront vieux, "ah ouais, moi j'ai refait 68, comme mon père avant moi". Ensuite parce qu'ils sont narcissiques, que malgré leur discours gauchiste ils se savent plus riches et plus cultivés que les autres, et qu'à ce titre, ils ont bien le droit de mettre le boxon si l'envie leur en prend, et enfin par intérêt. Eh oui, nombre de petits bourges entrant dans des syndicats étudiants ont déjà toute une stratégie pour grimper dans la hiérarchie syndicale. Comme Bruno Julliard, ce champion des causes sociales qui s'est fait embaucher à un poste très lucratif par le sieur Delanoë, grâce à sa belle gueule, à ses origines bourgeoises et à l'attirance du maire de Paris pour les jeunes garçons. Avant, cela concernait plutôt l'UNEF, aujourd'hui on trouve aussi ce genre de choses à l'AGE (Association Générale des Etudiants de... : AGEN à Nanterre, AGEPS à la Sorbonne, etc). Quand on veut s'engager en politique et gagner de l'argent avec, il faut commencer tôt ! Après tout, nombre de cadres actuels du PS ou d'autres partis (c'est-à-dire de salariés) ont fait leurs premières armes dans les syndicats étudiants. Et quand on connaît tous les avantages dont ils bénéficient (réseau de relations, postes facilement accessibles dans certaines boîtes, magouilles d'inités, etc), on se doute qu'ils ne militent pas pour les beaux yeux du peuple.
Le deuxième type de syndicaliste étudiant est d'origine plus modeste. Il vient d'un milieu moyen ou pauvre, n'est pas très cultivé et ne brille par rien dans sa vie. C'est quasiment un stéréotype d'étudiant banal. Cependant, il a soif de reconnaissance, et il a envie de faire changer les choses. Non pas parce que les choses pourraient être améliorées, mais parce qu'il a envie de montrer qu'il existe et qu'il a besoin d'être reconnu. Or, la politique est un excellent moyen pour ça. C'est ainsi que, dans les syndicats, on trouve juste en dessous des cadres des petits groupes de militants ultra-motivés. Ce sont eux qui peignent les banderoles chiasseuses pendues aux fenêtres lors des blocages, distribuent des tracts... Ils ont un besoin énorme d'affection, que leur "engagement" syndical leur permet de combler sans se prendre la tête. Si on leur demande ce qui les motive, ils sortent un discours stéréotypé ("oui, alors moi je suis pas d'accord avec Pécresse qui veut marchandiser la fac, tu vois, moi je veux faire mes études sans m'emmerder à faire des stages, c'est trop chiant, moi je veux me consacrer à l'intellection pure et tout étudiant devrait faire pareil") mais on se doute bien que, même si sa paresse le pousse à vouloir faciliter l'obtention de ses exams par des ficelles politiques, il y a un besoin de reconnaissance qui pousse derrière.
Ces gens-là sont bien sûr les idiots utiles des syndicalistes du premier type. Cultivés, rompus aux mondanités, les petits bourges manipulent les militants pauvrets qui leur tombent dans les bras et les flattent habilement pour obtenir d'eux tout ce qu'ils veulent.

A quoi servirait le syndicalisme étudiant, si ce n'était pas pour servir de marchepied aux enfants de la gauche caviar avides de se lancer dans l'économie "sociale et solidaire" ? Vu les conditions qui existent en France, les revendications de ces syndicats apparaissent totalement déplacées. Les étudiants bénéficient facilement de bourses, leurs frais d'inscription ne sont pas très élevés (300 euros par an en licence, à peu près 450 avec une mutuelle facultative), et pourtant ils trouvent encore moyen de se plaindre comme quoi on ne leur file pas assez de sous. La crise, c'est pour les autres, hein, nous on ne veut pas payer ! Inutile de dire qu'aux Etats-Unis, où les frais d'inscription sont en moyenne 30 fois plus élevés qu'en France et provoquent des endettements considérables, ou en Suisse, où l'inscription est également assez chère, on aimerait bien connaître les mêmes conditions d'études que dans le pays de Louis XIV...
Ceux qui s'imaginent que les syndicats défendent les étudiants se fourrent le doigt dans l'oeil jusqu'à l'omoplate. Ces syndicats ne servent qu'à perpétuer un système mis en place depuis mai 68, où la bourgeoisie se fait porte-parole des revendications sociales en les exagérant complètement, à dessein. Comme ça, elle se fait de l'argent, se fait bien voir des gens et se perpétue sans problème.
Mais les syndicats étudiants sont également là pour que leurs membres puissent s'amuser un peu. Officiellement, ils ne se félicitent jamais de quoi que ce soit. Toujours à l'affût d'un truc dont ils pourraient se plaindre, les syndicats jouent aux ennemis irréductibles du gouvernement (bien sûr, par derrière, c'est autre chose). Quand le ministère de la recherche ne fait pas de réforme, ils se plaignent que les étudiants sont abandonnées. Quand il fait une réforme, ils hurlent qu'on veut marchandiser la fac, même quand il y a quinze milliards à la clé comme dans le plan de réforme de Pécresse. De toute façon, ces quinze milliards n'iront pas dans leur poche, alors ils s'en foutent... Dès qu'ils ont l'occasion de faire un peu de bruit, les syndicats le font. C'est leur raison de vivre. Etalant leur pouvoir de nuisance et leur rôle de bonne conscience morale, commun à toutes les formations gauchistes, ils provoquent un maximum de tintamarre autour de revendications qui sont toujours les mêmes depuis trente ans, et si le gouvernement ne donne pas un peu de fric à ceux qui en tiennent les rênes, ça part en grève. Les militants, aussi fanatiques que manipulés, tout heureux d'avoir enfin un truc d'ampleur à faire et persuadés qu'ils vont changer le cours de l'histoire, bloquent alors les facs. Ils perturbent la tenue des cours, font des AG parce que la tradition le veut ainsi, et en attendant que les leaders syndicaux décrètent la fin de la grève, le boxon est mis dans ce qui devrait être un centre d'études.
Qu'est-ce qu'une AG ? Officiellement, il s'agit d'une assemblée générale, exercice de démocratie permettant au peuple estudiantin de s'exprimer dans un débat où tout le monde participe. Officieusement, c'est à mi-chemin entre le show télévisé et la branlette politique, et ca se passe toujours de la même façon.
Depuis une semaine, mettons, un blocage est en cours. Certains essayent de bloquer, d'autres sont contre, il y a des embrouilles interminables entre tel et tel syndicat (en général guerres d'influence ou conflits d'ego). Le syndicat dominant, disons l'AGE, a décidé de tenir une AG. Ce syndicat disposant de relations parmi les profs ou le conseil de la fac, il obtient facilement un amphi. L'AG est décrétée le lundi matin à huit heures. Bien entendu, seuls les militants et sympathisants du mouvement sont informés. Parmi eux, certains passent le mot aux gens d'autres syndicats, qui vont bien sûr se ramener, car ils sont jaloux du pouvoir de l'AGE qui est plus grand que le leur. Le lundi matin, la moitié de l'amphi est occupée dès sept heures et demie par les militants de l'AGE, leaders syndicaux concurrents et sympathisants divers. A huit heures, c'est plein à craquer. Bien entendu, l'amphi est rempli de gauchistes, car les étudiants de droite ou non politisés n'ont été que tardivement prévenus, voire pas prévenus du tout. Il y a tout de même des tensions, car il y a toujours des embrouilles entre les différents syndicats présents. Avec quatre ou cinq cent étudiants sur vingt mille, l'AG ne représente qu'une infime fraction de ceux qui étudient (et encore, elle représente surtout ceux qui ne veulent pas étudier) mais peu importe, c'est une tradition séculaire, et même quand on prétend vouloir faire table rase pour mener une révolution populaire, il y a des traditions qu'on s'abstient de remettre en question, comme la tenue d'AG.
La réunion est conduite par deux ou trois leaders syndicaux, en général membres de l'AGE, plus rarement de l'UNEF. Les tours de parole sont rigoureusement planifiés. On a déjà prévu que vingt orateurs se succéderaient, et leurs prénoms sont inscrit sur le tableau. Souvent, les orateurs en question sont des petits bourges, cachant leur polo Ralph Lauren sous un keffieh, ou des vieux de trente ans dont on se demande ce qu'ils foutent encore en fac à leur âge. Malgré cet ordre digne d'une réunion du Politburo soviétique, ce sera le bordel. En effet, certains leaders n'ont pas droit à la parole, car l'AGE ne prétend pas leur donner. S'estimant floués, ils vont guetter la moindre faute de celui qui parle sur la tribune pour gueuler. Il y a aussi, dans le public, des gueulards qui s'époumoneront quand on suggérera de ne pas bloquer ou de bloquer modérément l'accès à la fac. Quant au public proprement dit, il crie, siffle, applaudit, mais ne parle pas. Ceux qui essaient se font laminer par les animateurs de l'AG. Il arrive qu'ils se fassent sèchement rétorquer "tais-toi !" sous les rires des militants de l'AGE ou de l'UNEF. Dans le tas, quelques étudiants normaux, venus là plus ou moins par hasard, hallucinés par l'absence totale de démocratie qui règne.
Bien entendu, les votes se feront à main levée après plus de deux heures et demie de débat où les mêmes choses sont sans cesse ressassées. Quelques militants d'extrême-gauche compteront les votes, avec une méthode de comptage ultra-rapide dont ils ont le secret, et comme par hasard, le blocage sera voté.
C'est tout de même curieux : quand les votes pour ce genre de choses se font à une heure raisonnable, avec contrôle des cartes d'étudiants, urnes de vote, registres et comptage des votes sous contrôle de l'administration, les blocages sont presque toujours refusés. Par contre, quand c'est une AG de 400 personnes, dont 300 gauchistes hystériques, qui décide, là le blocage est voté. Etrange...
Le plus drôle étant l'absence totale de démocratie au sein même des syndicats. Dans une AG, les 300 gauchistes du public occupent les gradins, mais ils n'ont aucun pouvoir. Ceux qui décident de tout sont les quelques animateurs, leaders de l'AGE, et quelques forts en gueule qui parviendront à arracher une influence minimale au moment du vote à force de s'époumoner dans l'assistance. Pas étonnant que la fac soit en crise avec des tarés pareils !

Pourtant, ils ont un avantage sur les autres : même s'ils n'assistent pas aux cours, ou très peu, parce qu'ils préfèrent glander, ces gens-là viennent d'un milieu privilégié et ont dans leur syndicat un poste du même acabit. Ils auront toujours leur licence de toute façon. En effet, seuls les militants de base se feront jarter aux exams, les cadres bossent toujours un petit peu pour passer de justesse jusqu'à la fin de la troisième année. Si on les refuse en master, ils s'en foutent, car leur poste au syndicat leur donne un réseau et une influence qui elle-même leur permet de trouver autre chose facilement. Bruno Julliard n'était que la face émergée de l'iceberg.
Si seulement Pécresse n'avait pas tout lâché, on aurait pu prendre une revanche symbolique sur cette génération caviar des causes sociales, mais les décolorées, c'est comme les joueurs de foot à la Thuram : il n'y a pas grand-chose à en espérer, puissent-ils être ministres et appréciés de notre président bien-aimé.