jeudi 26 février 2009

Portrait : l'ancien

Tout milieu social a une histoire. Le milieu faf n'y échappe pas et traîne aussi derrière lui une longue évolution, faite de collages d'autocs, de beuveries, de meetings (et de branlette cybernétique depuis l'apparition du Net dans les années 90). Cette longue histoire, vieille de plusieurs décennies, la plupart des gens du milieu sont trop jeunes pour l'avoir vécue. Pourtant, s'il n'y avait personne pour conserver l'histoire, il n'y aurait pas d'histoire. Quelques membres du milieu, qui étaient là à tel ou tel évènement, qui étaient jeunes quand les "militants" (ha ha ha) actuels tétaient encore au biberon, se chargent de la conserver et d'en profiter un maximum : ces types-là sont ce qu'on appelle les anciens.
Leur grand âge (en général une quarantaine d'années), leur réputation, leur expérience vénérable fait-elle d'eux des sages du milieu faf, piliers de la formation politique de jeunes militants ?

Si nous étions dans le meilleur des mondes, ce serait sans doute le cas, mais bien évidemment il n'en est rien. Quiconque a connu un ancien et cessé de le connaître se sent plus sage qu'auparavant, non parce que l'ancien lui a appris des choses, mais au contraire parce qu'il est tellement con que n'importe quel fafounet qui a pris un peu de recul se dit "heureusement que je suis encore jeune et que je ne suis pas comme lui !".
A la base, l'ancien est un faf comme un autre. Simplement, il est plus vieux que ses "camarades", beaucoup plus vieux. Alors que le fafounet de base tourne autour de la vingtaine, l'ancien a trente-cinq, voire quarante ans. Il a commencé au GUD, il est parti pour le FN, il a quitté le FN pour le MNR et maintenant il traîne dans les soirées ou les meetings. Au fil des ans, il a accumulé les cartes, qui sont pour lui comme autant de trophées à exhiber fièrement dans les soirées bière (il le niera mais il se balade toujours avec toutes ses cartes sur lui), s'est rendu à plein de manifs, a ingurgité des centaines de pintes dans différents endroits, il a tout fait, tout vu et tout entendu.
En réalité, qu'a-t-il fait de sa vie ? Rien du tout. Quand il était jeune, il a suivi le troupeau, collant des affiches ou des autocs avant de pleurnicher parce que son groupuscule (GUD ou autre) capotait. Depuis, il n'a jamais pris le moindre recul, n'a jamais réfléchi sur sa vie ou sur son comportement. Il a vieilli, et bien qu'il soit encore tout à fait en forme, ses travers de jeunesse se sont enfoncés en lui comme un exosquelette. Aujourd'hui, plus âgé que les petits jeunes qui l'entourent, il se sent comme un guide pour eux. Comme il a bourlingué, il a forcément des anecdotes à raconter et ne se gêne pas pour le faire. Auréolé d'un halo de sagesse aux yeux de petits fafs en quête de modèles, l'ancien commente l'actualité avec une sombre imprécision et donne des conseils à tout va. Conseils de merde, évidemment, vu qu'il n'a lui-même absolument rien fait de sa vie, mais vu qu'il est le seul adulte du milieu... Dans le milieu faf, les adultes qui ont moins de trente ans sont généralement des adulescents gâtés qui traînent avec des mecs de vingt ans pour ne jamais vieillir, ce qui donne de facto aux plus vieux le titre d'ancien. Au royaume des feufas, les anciens sont rois !

L'ancien ne milite plus. Il a fait son devoir, dit-il. Quand il était jeune, il a baroudé, il a couru les partis politiques et les soirées bières, alors ce ne sont pas des gamins qui vont le remettre en cause. Surtout quand les gamins en question, avides de reconnaissance, le fréquentent pour qu'un peu de sa pseudo-sagesse rejaillisse sur eux. Les fafounets ont aux anciens le même rapport qu'un enfant de cinq ans à un dessin animé made in Disneyland : ébahis par sa seule présence, ils croient sans réfléchir à toutes les conneries qu'il raconte, même quand (et c'est souvent le cas) il s'agit de mythomanie pure et simple. L'ancien n'a jamais fait quoi que ce soit de réellement utile pour la cause, au mieux il s'est battu quelquefois avec des rouges, mais dans les faits, il n'y a rien. Comme toujours dans ce milieu, le paraître est ce qu'il y a de plus important, et si l'ancien a une place si vénérable dans le "ghetto faf", c'est simplement parce qu'il porte la même défroque Lonsdale depuis dix ans.
Car l'ancien, comme tous les fafs d'il y a vingt ans, a commencé son trip politique en étant skin. Il a eu sa période warrioresque (comprendre : beuveries tous les week-ends + bastons entre skins + astiquage de poireau à répétition), puis il s'est un peu calmé. Son engagement politique, dit-il, est devenu plus mature, plus réfléchi, d'où le fait qu'il ait décidé de devenir militant. En réalité, il en a eu marre de se prendre des coups, a fait un séjour en cabane qui l'a refroidi ou encore s'est lassé de son vomissement dominical dû à un trop-plein de bière. La seule exception notable à cela, c'est Serge Ayoub, mais notre ami Batskin bénéficiait d'un avantage qui lui a donné une longévité judiciaire exceptionnelle. En effet, sa mère était procureure, comme il l'a dit lui-même dans une interview à Radio Banderanera après l'avoir longtemps nié. Ce menu avantage lui a permis d'être très peu inquiété par la justice, malgré les centaines de bastons dont il se vantait, avant que les lobbies de l'antiracisme ne finissent par l'envoyer à l'ombre. Au passage, on notera la dichotomie totale entre les faits et le discours. Serge Ayoub était un défenseur du national-socialisme et de la race aryenne, mais il est juif, comme l'indique son nom complet qui est Serge Elie Ayoub. Il était nationaliste, donc opposant à la toxicomanie qui affaiblit le peuple, mais fut lui-même traficant de drogue. Il était révolutionnaire, et depuis il s'est mis à gagner de la thune en gérant son bar du 92 rue de Javel. Les mauvaises langues diront que cette inconsistance, pour ne pas parler d'hypocrisie, peut être liée à la diaspora dont le sieur Ayoub est originaire ; pour notre part, nous n'entrerons pas dans ces polémiques débiles, mais une chose est sûre, c'est que des mythomanes se prenant pour des SS éclusent leurs pintes dans le bar d'un juif...
Pour en revenir à l'ancien, qui d'ailleurs fréquente régulièrement le Local s'il habite à Paris, remarquons qu'il profite allègrement de sa situation pour se faire mousser. Parmi les jeunots qui l'entourent, l'ancien trouve toujours un mec un peu con qu'il va prendre sous son aile. Tel un grand frère spirituel, il va le conseiller, lui dire quoi penser de telle ou telle chose, ce que l'autre s'empressera de faire, plein de reconnaissance à l'égard du vénérable qui a daigné se pencher sur lui. L'ancien acquiert ainsi un allié précieux, ou plutôt un petit toutou qui comblera son propre besoin de reconnaissance sociale. Ce n'est pas parce qu'il a quarante ans qu'il est au-dessus du regard des autres, bien au contraire ! Si c'était le cas, croyez-vous qu'il passerait sa vie à se faire mousser dans des soirées bières, en compagnie de gens qui pourraient être ses fils ?
Ce qui est drôle, c'est de voir comment l'ancien rattrape l'échec abyssal qu'a été sa vie en s'autoproclamant conseiller des jeunes fafs. Tel le shaman dans une tribu indienne d'amazonie, l'ancien n'a aucune aptitude, aucune compétence, tout ce qu'il possède se résume à des oripeaux et des formules magiques. Dans le cas de l'ancien, l'oripeau est griffé Lonsdale, et les formules magiques ressemblent à s'y méprendre à des conseils débiles, dits avec l'air solennel du mec qui sait de quoi il parle. Si l'ancien n'a jamais rien foutu de sa vie, son grand âge le protège de toute possibilité d'avoir tort. Il "n'a plus rien à prouver" (ce qui explique son empressement à se faire voir par de plus jeunes ?), il a "fait son temps" (bien qu'il soit encore tout à fait en forme physiquement). Evidemment, il s'agit d'excuses bidon pour ne rien faire. Ne vous avisez surtout pas de le critiquer : vous, vous ne connaissez rien, vous n'avez pas l'expérience de la vie, vous n'avez jamais connu le GUD (qui ne foutait quasiment rien pendant ses dernières années d'existence, à part se taper de temps en temps contre les gauches), et de toute façon être nationaliste c'est respecter ses aînés, alors fermez-là et laissez-le raconter ses histoires de bagarre d'il y a vingt ans !
Ne militant plus, et donc déconnecté des réalités de la rue depuis belle lurette, l'ancien a retrouvé en partie son look de quand il était jeune. Il porte de nouveau son Lonsdale d'il y a dix ans, son Fred Perry tout élimé, avec une tache de sang au niveau de l'épaule droite, soi-disant souvenir d'une bagarre contre des rouges lorsqu'il était au GUD (en fait, c'est de la sauce tomate, mais l'ancien ne connaît pas la lessive)... Ca ne lui rendra pas sa jeunesse, mais bon, c'est le seul rêve que l'ancien soit capable de concevoir. Et puis, il n'est pas n'importe qui, il est ancien. Maintenant, il peut enfin profiter d'être devenu vieux : donner des conseils aux jeunes, se croire d'emblée supérieur à eux et voir que la plupart d'entre eux l'acceptent comme si ça allait de soi, tout de même, qu'est-ce que c'est bon ! Il en oublierait presque qu'il a raté sa vie.

Certains jeunes fafs, plus lucides que d'autres, se sont rendus compte que les anciens qu'ils connaissent étaient pitoyables : épaves rongées par l'alcool, usées jusqu'au cou par des boulots de merde (ben oui, l'ancien ne peut plus glander comme eux à la fac, il est obligé de travailler), qui traînent dans les soirées bières et happent les jeunes les plus cons pour remplir leur besoin de reconnaissance. C'est ainsi que quelques fafs un peu moins cons que les autres commencent à voir les anciens (et d'ailleurs, c'est comme ça qu'ils sont). Ils ont ouvert les yeux ? Cool ! Cependant, n'oublions pas la pression sociale qui règne dans le milieu faf : c'est à celui qui aura la plus grosse bite, collé le plus d'autocs ou qui gagnera les faveurs de l'ancien de service. Le jeune faf pas trop con raillera l'ancien en son absence, il s'en moquera gentiment, mais cela ne plaira bien sûr pas du tout aux autres qui ont fini par bien l'aimer. "Attends, t'es pas gentil, le vieux il est ptêtre un peu relou mais il est sympa, il parle bien..." Les mêmes excuses qu'on a pour Serge Ayoub, y compris de la part des pseudo-NS qui crachent sur les juifs tout en défendant le tenancier de leur bar favori. N'oublions pas la meilleure excuse : "il est resté fidèle à ses idées", "il assure son trip jusqu'au bout", c'est-à-dire qu'il n'a pas évolué depuis vingt ans et qu'il est toujours le même garçon immature, avide de reconnaissance, qui se contente simplement de profiter d'un statut conféré par son âge. Les jeunes fafs, pas toujours si bêtes, s'en rendent bien compte, mais leur élitisme est à géométrie variable : l'ancien est con, parfois chiant, mais il raconte des histoires de bagarre de l'époque du GUD ou du jeune MNR, alors on peut bien l'écouter...
Dans un milieu social, les plus vieux sont censés tenir le rôle de réceptacles de l'histoire : à la fois garde-fous pour les plus jeunes et archives vivantes, ils sont la voix de l'expérience, et cela leur donne une autorité spécifique. L'ancien du milieu faf tient aussi ce rôle-là. Sa connerie est simplement révélatrice de celle du milieu dans lequel il évolue, et qu'il n'a jamais quitté malgré tous ses travers, parce qu'il a vieilli mais jamais grandi.
Bien évidemment, aucun ancien ne se reconnaîtra dans ce portrait, chacun trouvera des excuses : "ouais mais moi je suis resté au FN pendant plusieurs années, j'étais un militant sérieux", "ouais mais moi j'ai arrêté de boire la semaine", "ouais mais moi quand j'ai été au MNR c'était chaud par rapport à mes potes du FN, moi j'ai pris des vrais risques", "de toute façon Politrash c'est des gauchistes même s'ils font genre ils se moquent des antifas.", etc.
De la sagesse en barre...